Rapport Morlat : Prise en charge des personnes trans vivant avec le VIH

Le dernier rapport d’experts français pour la prise en charge médicale du VIH, Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandations du groupe d’experts, Rapport 2013, sous la direction du Pr Morlat est paru fin 2013. Il contient une partie sur la prise en charge des personnes trans vivant avec le VIH, dont voici l’intégralité :

Chapitre : Suivi de l’adulte vivant avec le VIH, prévention et prise en charge des comorbidités / Personnes transgenres (p. 130-131)

Le terme « transgenre » désigne toute personne dont l’identité de genre, l’expression ou le comportement est en inadéquation avec son sexe biologique. L’identité de genre diffère du sexe de naissance et cela peut s’exprimer dans l’apparence physique par un simple changement de comportement, par des mesures cosmétiques, par l’utilisation d’hormones ou par des chirurgies dont celle de réassignation sexuelle ou conversion sexuelle. D’autres termes sont couramment utilisés, comme transsexuel, transidentitaire, trans, travesti.

Les risques de contamination par le VIH et les IST dans cette population ont été décrits dans la littérature depuis les années 1990. L’exclusion économique et/ou sociale, le manque d’estime de soi ayant un impact sur la consommation accrue de substances psycho-actives, la méconnaissance des modes de transmission des IST, la multitude de partenaires sexuels ainsi que l’utilisation aléatoire de préservatifs, notamment lors de rapports anaux, sont les principaux facteurs de la prévalence élevée de ces infections surtout chez les transgenres MtF (Male to Female) [5]. Plusieurs études indiquent un moindre risque de transmission du VIH chez les transgenres FtM. Le manque de données épidémiologiques officielles en France sur cette population, concernant les IST et le VIH, sera pallié par le récent ajout de l’item «T» au DOMEVIH (nouvelle version du DMI 2) et la précision MtF ou FtM à la déclaration obligatoire permettra de cibler les actions préventives de pathologies en rapport avec le sexe biologique.

Le traitement hormonal «croisé» des transgenres dans le cadre du circuit de réassignation sexuelle est complexe et comporte des risques potentiels.6 En particulier, l’éthinylœstradiol ne doit plus être employé dans cette indication du fait du risque accru d’accidents thrombo-emboliques.7 Les antiandrogènes stéroïdiens (acétate de cyprtérone surtout et accessoirement spironolactone), associés aux œstrogènes par voie orale ou transdermique sont prescrits aux transgenres MtF. Cette hormonothérapie est poursuivie après chirurgie de réassignation sexuelle avec un éventuel remplacement des antiandrogènes par la progestérone naturelle. Dans le cas des transgenres FtM, les androgènes sont administrés par voie intramusculaire, orale ou transdermique, et sont poursuivis en post-opératoire. Un grand nombre de transgenres ne souhaitant pas ou ne pouvant pas bénéficier d’une réassignation sexuelle ont aussi recours à des hormones obtenues hors parcours médical. Les effets indésirables sont alors majorés par l’automédication de différentes formes galéniques de ces hormones, souvent surdosées, en prises irrégulières, mais dont il faut tenir compte dans le suivi et dans la gestion des interactions médicamenteuses. L’objectif médical, outre la féminisation ou la masculinisation du patient, est le maintien d’une thérapeutique antirétrovirale efficace, la surveillance de la densité minérale osseuse, la prévention à court terme des accidents thrombo-emboliques et, à long terme, des risques cardiovasculaires.8 Chez les transgenres MtF, des insuffisances surrénaliennes, des prolactinomes, des méningiomes, ainsi que des cancers du sein liés à la prise d’hormones féminisantes sont décrits. Ces cancers sont difficiles à dépister par une mammographie, en raison de la présence de silicone, et l’intérêt de l’IRM mammaire reste à déterminer.

Chez les PVVIH transgenres, il existe un risque d’interactions entre les traitements hormonaux et les ARV, avec pour conséquence le cumul des effets métaboliques délétères (insulinorésistance, diabète sucré et hyperlipidémies mixtes). L’existence d’anomalies du bilan glucidolipidique et/ou hépatique doit faire réaliser des dosages hormonaux et des ARV. L’objectif est alors d’obtenir une concentration d’œstradiol plasmatique entre 60 et 80 pg/ml. La voie transcutanée, prescrite par un endocrinologue habilité, est à privilégier car elle permet l’obtention de concentrations plus stables. Il y a peu de données concernant les interactions entre les ARV et les hormones féminisantes, ce qui justifierait des études de pharmacocinétiques spécifiquement dédiées à cette question.

L’utilisation d’implants de silicone au niveau des joues, de la poitrine, des hanches et des fesses est à l’origine de pathologies infectieuses et inflammatoires granulomateuses (les siliconomes), pouvant entraîner des nécroses ou des surinfections à type d’érysipèle, de cellulite et de fasciite, qu’il importe de prendre en charge conjointement entre les équipes de maladies infectieuses, de dermatologie et de chirurgie plastique et reconstructrice.

Les PVVIH transgenres doivent être prises en charge de manière pluridisciplinaire, au moins par un endocrinologue et un spécialiste du VIH. Pour les transgenres MtF, réassignées ou non, un suivi urologique pour une surveillance prostatique et un suivi proctologique pour le dépistage des cancers du canal anal, sont également indispensables. Les FtM et les MtF réassignées doivent aussi bénéficier d’un suivi gynécologique annuel. Un soutien psychologique et une évaluation psychiatrique sont à proposer en cas de besoin.

Les consignes de convalescence des chirurgies de réassignation sexuelle doivent être respectées, et en cas de réalisation à l’étranger, un relais de suivi en France est à prévoir.

Les transgenres étant confrontés à des discriminations et à des difficultés d’ordre médical, social, économique et psychologique, il est nécessaire de pouvoir proposer, en collaboration avec les associations concernées, des lieux d’accueil adaptés afin de favoriser un accompagnement global, permettre une meilleure observance et mieux cerner les comportements à risque face aux IST/VIH. Des cohortes « Trans-VIH/IST » et la sensibilisation du personnel médical et paramédical aux spécificités de cette population sont à mettre en place.

Références

  • 5. Baral SD, Poteat T, Strömdahl S, Wirtz AL, Guadamuz TE, Beyrer C. Worldwide burden of HIV in transgender women : a systematic review and meta-analysis. Lancet Infect Dis 2013 ; 13 : 214-22.
  • 6. Moore E, Wisniewski A, Dobs A. Endocrine treatment of transsexual people : a review of treatment regimens, outcomes, and adverse effects. J Clin Endocrinol Metab 2003 ; 88 : 3467-73.
  • 7. Toorians AW, Thomassen MC, Zweegman S et al. Venous thrombosis and changes of hemostatic variables during cross-sex hormone treatment in transsexual people. J Clin Endocrinol Metab 2003 ; 88 : 5723-9.
  • 8. Gooren LJ. Clinical practice. Care of transsexual persons. N Engl J Med 2011 ; 364: 1251-7.

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