La PrEP pour les populations peu étudiées : Examiner les questions sur l’ efficacité et l’innocuité

De nombreuses études ont démontré que la prophylaxie pré-exposition (PrEP) constitue une stratégie hautement efficace pour prévenir la transmission du VIH au sein de plusieurs populations courant un risque élevé de contracter le VIH. Il existe cependant peu de données de recherche probantes sur l’efficacité et l’innocuité de la PrEP chez certaines populations et dans certaines situations. Bien que cela ne signifie pas que la PrEP ne fonctionne pas ou qu’elle ne devrait pas être prise dans ces circonstances, le manque de connaissances peut soulever des questions ou des préoccupations. Le présent article, de Camille Arkell / CATIE, examine ce que nous savons sur l’utilisation de la PrEP durant la grossesse et l’allaitement, ainsi que sur son utilisation par les femmes trans, les hommes trans et les personnes qui s’injectent des drogues.

La PrEP chez les femmes trans

Les lignes directrices canadiennes sur la PrEP recommandent la PrEP pour les femmes trans courant un risque élevé de contracter le VIH par le biais de relations sexuelles.1 Les femmes trans sont touchées de manière disproportionnée par le VIH dans des pays comme le Canada et les États-Unis où l’épidémie de VIH est concentrée au sein de populations particulières.8

Les recommandations des lignes directrices canadiennes et américaines s’adressant aux femmes trans se basent sur des études menées principalement auprès d’hommes cisgenres ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH).1,9 Les études sur la PrEP qui ont inscrit des HARSAH incluaient souvent des femmes trans aussi; toutefois, une seule étude (l’étude iPrEx) a explicitement présenté ses conclusions au sujet des femmes trans en tant que sous-groupe de l’étude.10,11,12 L’étude iPrEx étaitun essai clinique randomisé (ECR) qui comparait l’utilisation de la PrEP orale à un placebo chez les HARSAH et les femmes trans. Après avoir démontré la grande efficacité de la PrEP, l’étude s’est poursuivie comme étude de prolongation ouverte où l’on offrait à tous les participants la PrEP, en les informant qu’ils prenaient la PrEP et qu’elle était efficace.

Parmi les 2 499 participants à la phase ECR, 339 (14 %) ont été classés comme femmes trans, soit parce qu’ elles s’identifiaient comme des femmes ou des trans, soit parce qu’elles disaient utiliser des hormones féminisantes, peu importe leur identité de genre.11 Chez les femmes trans de l’ECR iPrEx, une faible observance thérapeutique de la PrEP a entraîné un manque d’efficacité pour ce groupe. Onze femmes trans dans le groupe PrEP et 10 dans le groupe placebo ont contracté le VIH; toutefois, aucun médicament de la PrEP n’a été détecté dans le sang de ces femmes au moment de leur diagnostic de VIH.11

Lorsque l’étude s’est poursuivie comme étude de prolongation ouverte durant laquelle tous les participants ont reçu la PrEP, 151 femmes trans y ont participé. Deux femmes trans ont contracté le VIH lors de l’étude de prolongation ouverte — l’une ne présentait aucune trace de PrEP détectable dans son sang et l’autre présentait des concentrations de médicaments indiquant l’utilisation de moins de deux comprimés par semaine. Aucune infection par le VIH ne s’est produite chez les femmes trans qui avaient des concentrations de médicaments indiquant une utilisation de deux à trois comprimés par semaine ou plus.

Dans l’ensemble, les femmes trans de cette étude différaient des HARSAH de plusieurs façons importantes. Les femmes trans ont fait preuve d’une observance thérapeutique plus faible et d’une utilisation moins régulière de la PrEP au fil du temps, comparativement aux HARSAH.11 Les femmes trans de cette étude étaient également plus susceptibles de signaler avoir eu des relations sexuelles de nature transactionnelle, des relations anales réceptives sans condom et plus de cinq partenaires au cours des trois derniers mois, comparativement aux HARSAH. Les femmes trans ayant des comportements à risque plus élevé (c’est-à-dire celles ayant signalé des relations anales réceptives sans condom) étaient moins susceptibles d’utiliser de façon régulière la PrEP, alors que les HARSAH ayant les mêmes comportements à risque élevé étaient plus susceptibles d’utiliser la PrEP.

Les données probantes de l’étude iPrEx suggèrent que la PrEP est efficace pour prévenir le VIH chez les femmes trans lorsqu’elle est prise régulièrement, mais qu’il se peut que les femmes trans aient de la difficulté à maintenir l’observance de la PrEP. Les auteurs suggèrent que les obstacles à la prise de la PrEP chez les femmes trans peuvent inclure : le manque d’accès à des services incluant les trans et adaptés à la culture, le manque de confiance envers les fournisseurs de services et les préoccupations concernant les interactions entre la PrEP et les hormones servant à l’affirmation de genre.11

Plus de recherche nécessaire

Bien qu’il ait été démontré que la PrEP était efficace lorsque les femmes trans la prenaient de façon régulière, certaines questions liées aux femmes trans et à la PrEP demeurent peu étudiées.

Aucune étude n’a évalué directement les interactions médicamenteuses chez des femmes trans qui utilisaient à la fois la PrEP et des hormones féminisantes.11,12Cependant, à la lumière des données probantes disponibles, on ne s’attend à aucune interaction médicamenteuse.11,13,14,15,16,17 La raison réside dans le fait que les hormones féminisantes sont métabolisées par le foie tandis que les médicaments de la PrEP sont éliminés par les reins, ce qui fait en sorte que les interactions entre les médicaments sont beaucoup moins probables.11,13 De plus, la recherche a démontré que les médicaments de la PrEP n’interagissent pas avec les contraceptifs hormonaux pris par les femmes pour éviter les grossesses,14,15,16 même s’ils sont différents des hormones prises pour une affirmation de genre.11 Davantage de recherches sont nécessaires pour mieux comprendre comment les médicaments de la PrEP peuvent interagir avec les hormones féminisantes utilisées par certaines femmes trans.11,17  Il serait important que des études plus poussées soient effectuées, surtout étant donné que les préoccupations concernant les interactions médicamenteuses peuvent nuire à l’observance de la PrEP chez les femmes trans. 11

Il n’y a eu aucune étude examinant les concentrations de médicaments de la PrEP dans les tissus génitaux de femmes trans ayant subi une chirurgie d’affirmation de genre, telle une construction chirurgicale du vagin.17 Cela pourrait s’avérer un important domaine de recherche étant donné que certaines données probantes suggèrent que les médicaments de la PrEP mettent plus ou moins de temps à atteindre leur niveau maximal dans différents tissus corporels.17,18,19,20

La PrEP chez les hommes trans

Des études sur l’efficacité de la PrEP chez les hommes trans sont en cours, mais, à ce jour, cette population a été exclue des études sur l’efficacité de la PrEP. Les hommes trans peuvent être à risque de contracter le VIH, surtout s’ils ont des relations sexuelles avec d’autres hommes. Les hommes trans qui s‘identifient comme des hommes gais et/ou qui ont des HARSAH comme partenaires sexuels peuvent être exposés aux mêmes risques que les autres HARSAH en ce qui concerne le VIH.21

Même s’il n’existe aucune donnée sur l’efficacité de la PrEP chez les hommes trans spécifiquement, rien ne permet de croire que la PrEP n’est pas hautement efficace si elle est prise régulièrement et correctement par les hommes trans. En théorie, les conseils sur l’observance thérapeutique rigoureuse nécessaire pour atteindre une protection optimale par la PrEP qui s’adressent aux femmes cisgenres devraient être semblables pour les hommes trans, selon le type de relations sexuelles qu’ils ont — que ce soit des relations anales ou vaginales/frontales. Comme mentionné précédemment, la recherche a conclu que les médicaments de la PrEP mettaient plus de temps à atteindre leur niveau maximal dans les tissus vaginaux comparativement aux tissus rectaux, et qu’une excellente observance de la posologie quotidienne  est nécessaire pour atteindre une grande efficacité dans le vagin comparativement au rectum.18,19,20

Une étude examinant les connaissances et les attitudes des hommes trans par rapport à la PrEP a conclu que ces derniers avaient des préoccupations concernant l’innocuité et l’efficacité de la PrEP pour les hommes trans, vu le manque de recherche au sein de cette population, y compris les interactions possibles avec les contraceptifs hormonaux, la testostérone et les drogues à usage récréatif.21 Ces préoccupations sont semblables à celles des femmes trans. Les auteurs font remarquer que même s’il n’existe aucune interaction soupçonnée entre les médicaments de la PrEP et les hormones ou les contraceptifs hormonaux, il n’existe aucune donnée sur les interactions entre les médicaments de la PrEP et le dispositif intra-utérin (DIU) hormonal ou la testostérone.21

Recommandations pour les fournisseurs de services

Il est important pour les fournisseurs de services de savoir que la plupart des personnes à risque élevé de contracter le VIH peuvent prendre la PrEP sans danger, et qu’elle sera hautement efficace pour prévenir la transmission du VIH si elle est prise de façon régulière et correcte. Lorsque des clients provenant des populations susmentionnées souhaitent prendre la PrEP, les fournisseurs de services peuvent offrir un counseling adapté aux situations spécifiques.

  • Les fournisseurs de services peuvent parler aux clients trans des données probantes suggérant que la PrEP est efficace pour les personnes trans lorsqu’elle est prise régulièrement et correctement, et même s’il existe peu de données probantes sur l’innocuité, les experts croient que les médicaments de la PrEP n’interagiront pas avec les hormones qu’utilisent les personnes trans.
  • Reconnaissez qu’il existe peu de données probantes sur l’efficacité de la PrEP chez les personnes trans et en particulier, sur la façon dont la PrEP fonctionne dans le corps des personnes ayant subi une chirurgie d’affirmation de genre.
  • Lorsque vous dirigez des personnes trans vers des services liés à la PrEP, tenez compte du fait que la PrEP devrait être offerte dans des cliniques/milieux offrant des soins conformes à l’affirmation de genre (par exemple, où l’on respecte les noms et les pronoms choisis, où les patients peuvent utiliser la salle de bains de leur choix et où le personnel est culturellement compétent).
  • Offrez du counseling sur l’observance thérapeutique et donnez aux clients des stratégies pour améliorer leur observance, comme régler une alarme de rappel, utiliser une dosette pour organiser les comprimés ou télécharger une application pour l’observance sur leur cellulaire.
  • Conseillez aux clients de discuter avec leur médecin des risques et des avantages liés à la prise de la PrEP et de lui demander de l’information au sujet du suivi continu dont ils bénéficieront.
  • Les personnes trans peuvent obtenir du counseling sur une variété d’autres stratégies de prévention du VIH, comme les condoms, l’utilisation d’une charge virale indétectable pour prévenir la transmission du VIH et les stratégies de réduction des méfaits.

Source : Camille Arkell / CATIE.

Notes

  • 1. a. b. c. d. e. f. g. Tan DHS, Hull MW, Yoong D, et al. Canadian guideline on HIV pre-exposure prophylaxis and nonoccupational postexposure prophylaxis. Canadian Medical Association Journal. 2017 November 27;189(47):E1448–E1458. Disponible à : http://www.cmaj.ca/content/189/47/E1448
  • 9. Centers for Disease Control and Prevention. US Public Health Service: Preexposure prophylaxis for the prevention of HIV infection in the United States – 2017 Update: a clinical practice guideline. Published March 2018. Disponible à :https://www.cdc.gov/hiv/pdf/risk/prep/cdc-hiv-prep-guidelines-2017.pdf
  • 10.Grant RM, Lama JR, Anderson PL, et al. Preexposure chemoprophylaxis for HIV prevention in men who have sex with men. The New England Journal of Medicine. 2010 Dec 30;363(27):2587–2599.
  • 11.a. b. c. d. e. f. g. h. i. j. k. Deutsch MB, Glidden DV, Sevelius J, et al. HIV pre-exposure prophylaxis in transgender women: a subgroup analysis of the iPrEx trial. Lancet HIV. 2015 Dec;2:e512–e519.
  • 12.a. b. Desai M, Field N, Grant R et al. Recent advances in pre-exposure prophylaxis for HIV. BMJ. 2017 Dec 11;359:j5011.
  • 13.a. b. Anderson PL, Reirden D, Castillo-Mancilla J. Pharmacologic considerations for preexposure prophylaxis in transgender women. Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes. 2016 Aug 15;72 Suppl 3:S230–S234.
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  • 18.a. b. Cottrell ML, Srinivas N, Kashuba AD. Pharmacokinetics of antiretrovirals in mucosal tissue. Expert Opinion on Drug Metabolism and Toxicology. 2015;11:893–905.
  • 19.a. b. Cottrell MI, Yang KH, Prince H, et al. Predicting effective Truvada PrEP dosing strategies with a novel PK-PD model incorporating tissue active metabolites and endogenous nucleotides. Présenté à : HIV research for prevention (R4P); Le Cap, Afrique du Sud, 2014.
  • 20.a. b. Cottrell ML, Yang KH, Prince H, et al. A translational pharmacology approach to predicting HIV pre-exposure prophylaxis outcomes in men and women using tenofovir disproxil fumarate + emtricitabine. Journal of Infectious Diseases. 2016 Jul 1;214(1):55–64.
  • 21.a. b. c. Rowniak S, Ong-Flaherty C, Selix N, et al. Attitudes, beliefs, and barriers to PrEP among trans men. AIDS Education and Prevention. 2017 Aug;29(4):302–314.

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